jeudi 14 janvier 2016

Histoire authentique de la Sardine qui a bouché le port de Marseille



Histoire authentique de la Sardine qui a
bouché le port de Marseille
et la non moins histoire authentique du
fameux,
du sublime Molinari de La Ciotat.
Imaginez, en 1775, sous le règne de Louis XVI, le vieux port de Marseille ; de gros
navires à quai, d’autres croisant au large entre le château d’If et le Fort St Jean.
Imaginez les quais encombrés de marchandises : tonneaux de vin de Bandol, de
Provence, du Comtat Venaissin…, des fûts d’huile d’olive des Baux ou du haut pays…,
des poteries d’Aubagne, des ballots de laine des Alpes…, et aussi les riches soieries
d’Orient, les fruits venus d’ailleurs, les bois précieux d’Afrique... Imaginez le soleil du
mois de juin qui chauffe les têtes et met le feu dans les coeurs et les gosiers….
Regardez ces magnifiques bateaux qu’on charge et qu’on décharge : le va et vient des
portefaix, les cris des charretiers, la colère des Capitaines, le souci des armateurs…
Regardez tout ce petit peuple qui vit du port et sur le port : hommes de peine, ouvriers
charpentiers, marins en maraude, pêcheurs de girelles ou de poulpes, demoiselles
galantes, partisanes et leurs paniers de poissons, enfants chipeurs d’oranges….mais
aussi les bonnets rouges des bagnards de l’Arsenal des galères… Mais regardez aussi
les belles dames en habits dorés, les gentilshommes traînant leurs perruques et leurs
épées, les commis de négoce et les ecclésiastiques à larges chapeaux ….
Remontez La Canebière, vous y rencontrerez des entrepôts, des remises, des écuries, des
tavernes, des accueillantes maisons à lanternes rouges, des églises pour la rémission de
vos pêchés… Dans ce Marseille, toutes les langues se mélangent, on se parle en
provençal, on se dispute en sicilien, on fait des affaires en grec, on marchande en arabe,
on négocie en catalan …, dans une odeur de fruit, de poisson, de crottin de cheval, de
thym et de lavande ! Bref, vous avez Marseille à vos pieds !
Un personnage important pèse sur la ville, les consuls de la mairie, le gouverneur,
l’archevêque lui rendent les honneurs qu’il convient à son rang et ne peuvent enfreindre
les désirs et les ordres de ce si puissant seigneur ! En fait, il commande à toute la ville !
Ministre de la Marine au Conseil du Roi, Monsieur le Comte de Sartines est aussi le
plus puissant armateur de Barcelone à Gênes. En toute modestie, le fleuron de sa flotte,
un magnifique navire marchand, a été baptisé le « de Sartines ». Il est si beau et si
imposant que même les pirates barbaresques n’osent l’attaquer ! Cette merveille est
commandée par le Chevalier de Peil (poisson en provençal), solide officier très
expérimenté, bien connu sur toutes les côtes de la Méditerranée.
Ce mardi du mois de mai 1775, les cales du navire sont remplies à ras bords de
marchandises à destination de Constantinople. Le départ est prévu pour le lendemain à
l’aube et l’équipage consigné depuis la veille est déjà aux ordres. Le mardi soir, un
violent mistral se lève, l’orientation de la passe entre les Forts St Nicolas et St Jean
empêche toute manoeuvre de sortie. Il faut attendre …, et calmer l’équipage. Le vent
souffle en tempête pendant 3 jours. Le samedi matin, enfin le vent tombe mais la mer
reste grosse, très grosse. Le Capitaine et son Bosco, très sûrs de leurs talents de
manoeuvriers, décident de la sortie. Le navire sort tout doucement de son appontement
et se présente devant la passe…..Au droit de St Nicolas, une première vague met le
bâtiment en travers, la seconde le couche et la troisième l’envoie par le fond. De la
merveille flottante il ne reste plus que le bout des mâts émergeant au dessus des flots.
Pas de victime, tout le monde rejoint les quais sous les lazzis de la foule.
Tout Marseille s’esclaffe, se raconte l’affaire, brode autour du naufrage; bref, même les
paysans d’Allauch et de Plan de Cuques en route pour le marché d’Aubagne se moquent
allègrement de ces fichus marins. Tout Marseille rit…..mais pas trop longtemps. Le « de
Sartines » bouche bien l’entrée du port ! Impossible d’y entrer et encore moins d’en
sortir. Marseille est en panne ! Toute la bonne ville bruisse de cet événement, le bruit
court comme une balle de mousquet : le « de Sartines a bouché le port », le « de Sartine
a bouché le port », le « de Sartine et le Peil ont bouché le port » ! et bientôt, comme de
bien entendu, pour des oreilles non averties, « le poisson et la sardine ont bouché le port
», puis tout bonnement « la sardine a bouché le port » ! La rumeur enfle, court, se
transforme, envahit bientôt toute la Provence, puis le Languedoc voisin et bientôt même
le Dauphiné et le Lyonnais. Encore quelques jours et la France se moque de ces braves
méridionaux beaux parleurs mais médiocres marins.
Mais la galéjade et les fariboles n’ont qu’un temps : plus de bateaux, plus de travail,
plus d’argent, plus de pain ! Le peuple gronde ! Le peuple a faim ! Les bourgeois, les
notables, les syndics ont beau faire donner des messes à l’église des Accoules ou à
l’église St Laurent……Le bateau bouche toujours le port. La « sardine » bouche
vraiment l’entrée du port ! Marseille est prête pour la révolte et manifeste bruyamment ;
de leurs bastides aixoises les autorités font bien distribuer du pain, du poisson séché,
quelques livres de pois chiches…..le peuple gronde de plus en plus fort. On fait
manoeuvrer quelques régiments venus du Dauphiné, l’Archevêque fait faire de belles
homélies …, rien n'y fait, la disette s’installe avec le désordre.
Bien sûr, les services de l’Etat et M. de Sartines ont bien compris qu’il fallait renflouer
le bateau; mais comment ? Paris envoie en urgence ses meilleurs ingénieurs, mais il faut
10 bons jours pour venir de Paris avec tout le matériel…, et en attendant…, la ville a
faim ! Les ingénieurs parisiens se montrent, bientôt, incapables de résoudre le problème,
d’ailleurs tout le monde s’en mêle : le Roi, les Ministres, le Gouverneur, l’Abbé de St
Victor……Rien ne sort de ces interminables palabres ! De guerre lasse, on s’en va
quérir des ingénieurs à Barcelone, puis à Gênes et même en Turquie…..Rien, pas de
solution, « la sardine » empêche tout mouvement de navire….Et le peuple gronde de
plus en plus et a de plus en plus faim.
Une rumeur commence, piano piano, à courir et à se répandre sur le Vieux Port : « faù
ana cerca Molinàri », « faù ana cerca Molinàri » , « faù ana cerca Molinàri a La Cieuta »
(il faut aller chercher Molinari à La Ciotat). Les autorités tergiversent encore ! Pensez
donc, ce Molinari n’est qu’un petit charpentier de marine, patron d’un petit chantier
naval dans la bonne ville de La Ciotat, tisseur de voile et quelquefois fondeur d’ancre de
marine. D’ailleurs, les gens de la région l’appelaient « le marchand d’ancre ». Il a aussi
la réputation, entre Marseille et Toulon, de génial inventeur jamais à court d’innovation
… Mais les grands personnages hésitent à faire appel à cet artisan que la vox populi
réclame si fort. Le peuple, désoeuvré et sans un liard, a faim, des émeutiers ont mis le
feu à quelques belles demeures du côté du quartier Ste Anne ……La haute société
commence à avoir peur, mais tergiverse toujours !
Pensez donc ce Molinari n’est qu’un artisan presque analphabète, qu’a-il fait d’autre
que de construire que des pointus et des tartanes ? Il n’est même pas bourgeois et puis
c’est un gavot de l’Ubaye, il ne parle que le provençal des montagnes et si nous le
sollicitons, combien cela va nous coûter ? Mais l’idée fait peu à peu son chemin, il est,
enfin, fait appel à ce Molinari. Ce n’a pas chose aisée, Marseille est à 6 lieues de La
Ciotat, les marseillais ne sont pas des clients faciles, et puis Marseille pour un ciotaden
……. les bons gros Louis d’or ont un effet salutaire sur les réticences du charpentier.
Venu à pied d’oeuvre, Molinari évalue rapidement la situation, demande aux Syndic de
lui fournir 5000 cochons qu’il tue immédiatement pour récupérer les « bouffigues » (les
vessies, en provençal). Prestement, il invite, 5000 marseillais à venir sur le port munis
de longs tuyaux de cannes (les roseaux de Provence), face à cette pauvre sardine qui
bouche toujours le port ! Des plongeurs courageux placent astucieusement dans le
bateau les 5000 bouffigues et Molinari, tel un chef d’orchestre, demande au 5000
marseillais de souffler en cadence pour gonfler les vessies de porc ! Miracle sans nom,
le bateau commence à tressaillir, puis à bouger, on voit les 3 mâts qui montent peu à peu
vers le ciel, puis petit à petit le navire émerge des flots ! Le pari était gagné ! Le
commerce peut reprendre et le pain revenir ! Le peuple exulte, le peuple n’a déjà plus
faim ! La fête est immense, Molinari fait marseillais d’honneur…. retourne vite à La
Ciotat où d’autres exploits l’attendent.
Telle est la (presque) véritable histoire de cette sardine qui a bouché le port et du non
moins célèbre Molinari; elle m’a été racontée par ma grand-mère, née en 1890 à la
Seyne/mer, et qui la tenait, elle même de son aïeule. Mais mon histoire ne serait pas
assez belle si elle se terminait ainsi. Nous les provençaux, lorsqu’on ne peut résoudre un
problème ou une difficulté , il nous vient toujours cet expression « faù ana cerca
Molinari » et il m’arrivait lorsque mon patron me demandait quelque chose
d’impossible de m’écrier, devant mes collègues ébahis, « il va falloir encore aller
chercher Molinari ! ». Mon petit conte ne s’arrête pas encore. Vous me le pardonnerez.
C’est Molinari qui a aussi construit le Pont du Gard, les arènes de Nîmes, Notre Dame
de la Garde, le viaduc du TGV de Ventabren et l’Airbus A380 !
« se non è vero, è ben trovato »
Daniel Dadone mai 2006
Dernière minute!
Naguère dans les pages de
l’Écho notre ami Daniel Dadone
nous racontait l’histoire in-vraisem-
bla-ble que le sieur
Molinari aurait enlevé l’épave
d’un navire appelé « De Sartine
» devenu ensuite « La Sardine »
et qui aurait bouché le port de
Marseille en des temps reculés et
néanmoins proches.
Je profite de cette chronique
pour rétablir un fait historique nié par notre collègue. C’est bien une sardine qui a
bouché le port en voici la preuve ci contre:
Le courrier des lecteurs...
Jojo du Canet 04/2010


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